Un spectre hante actuellement le constitutionnalisme européen : c’est le spectre de la déréglementation constitutionnelle. Ni dans l’ordre juridique national ni dans les ordres juridiques européens n’existent de normes fondamentales capables d’encadrer le règlement des conflits économiques, politiques et sociaux, avec la garantie d’un contrôle de fondamentalité efficace et systématique. L’interprétation constitutionnelle ultralibérale, protégée par l’européanisation du droit national et poussée à l’extrême dans le contexte de crise de la dette souveraine dans la zone Euro, a dévalué la normativité et a rendu imprévisible, voire aléatoire, l’interprétation de la Constitution nationale. Cette dernière, loin d’accomplir sa fonction qui consiste à résoudre tout conflit fondamental de la société dans des conditions de sécurité juridique et dans l’objectif d’assurer la symbiose de la démocratie politique avec la démocratie sociale, est devenue une constitution souple, prête à s’adapter à toute externalité dominante ou occasionnelle, juridique, économique, politique, culturelle ou morale. Elle est même transformée en une source d’insécurité juridique. À cet égard, le droit européen n’assure pas non plus une structure constitutionnelle fiable. Ses deux instruments fondamentaux, à savoir la Convention européenne des droits de l’homme et les traités européens, sont, eux aussi, trop souples pour pouvoir encadrer, d’un côté, les excès de l’individualisme et du néolibéralisme et, de l’autre, les réactions asymétriques des États européens à leur égard. Enfin, le modèle du pluralisme constitutionnel, au lieu de devenir un moyen de corriger la déréglementation constitutionnelle, évolue en fait comme le prodrome de celle-ci. Il constitue un facteur de reproduction de la déconstitutionnalisation du droit national et de la constitutionnalisation imparfaite du droit européen.